CHAPITRE 8
SAINT-DENIS / Juin 2012
Quelques mois après, je me trouve à la Basilique Saint-Denis, regardant le gisant, pas particulièrement séduisant, de Philippe le Bel. Non loin de lui, de l’autre côté de la travée centrale se trouve celui de Carloman 1er, dont on ne sait dire où se trouve le corps. Les ossements de Philippe le Bel eux sont bien ici, plus sous le tombeau puisque la révolution passant, les ossements des rois de France furent tour à tour jetés en pagaille dans la fosse commune, exhumés à nouveau, classés et soigneusement rangés par souverain et finalement remis en boîte dans le caveau situé dans la crypte. Les gisants par contre n’ont pas bougé de place. Ainsi le roi est-il à côté de son père Philippe III le Hardi, au visage semblable. Druon raconte la mise au tombeau du roi en 1314, sous les yeux de ses fils, les maudits de l’histoire : Charles IV le bel, Philippe V le long, Louis X le hutin. Ce dernier, devenant roi, terrifié à l’idée de l’être, devait regarder d’un oeil un peu effrayé le même gisant que moi, celui de son grand-père et se tenir à peu de chose où je me tiens, à proximité du trou béant creuser pour accueillir le tombeau de son père.
La lecture de ce roman me permet d’évoluer au milieu des gisants en terrain plus ou moins connu, nombre d’entre eux évoquent un des personnages de cette histoire faite d’adultères, de tortures, d’empoisonnements. Pour les autres et pour parfaire ma connaissance, je suis venue avec à l’intérieur d’un carnet l’arbre généalogique de la royauté française. Je vois bien que cela me fait complice des personnes plus âgées, sans doute des mordus de l’histoire de France et/ou de généalogie, je sens à leurs regards et leur sourires (bien que très discrets) une certaine complicité s’établir entre nous. C’est un peu désuet, les rois de France, je les crois un peu étonné de voir une jeune personne user des mêmes outils qu’eux. Mis à part nous, les enfants s’amusent à courir de gisant en gisant, comme de case en case et c’est pour eux un jeu de piste qui semble particulièrement amusant.
Saint-Denis est un lieu omniprésent dans les livres, dès lors que l’on parle de roi. Sans cesse l’histoire la cite, ce qui au regard de la ville actuelle ne laisse pas de m’étonner. Saint-Denis n’est pas devenue ce que sont devenues les villes dans lesquelles furent importants les moment de la royauté : Reims, Chartres, Blois, ces villes qui furent un moment royales ont gardé dans leur allure et leur maintien un air un peu princier. Elles sont aujourd’hui des villes moyennes, des capitales de région chics et bourgeoises. Saint-Denis, trop proche de Paris est devenue une ville de banlieue, autant connu du grand public pour son côté voyou que pour son côté royale. Cette dualité me la rend sympathique, lorsque je me promène dans ses rues, je suis secouée par l’énergie qu’elle dispense. Il y a dans l’air de la ville, une force étonnante qui la rend belle et joyeuse, indépendante. Il suffit pourtant d’entrer dans la Basilique pour que ce souffle cesse, que l’air se fige au contact du silence des gisants et de leur raideur, les gens que l’on y croise, pour la plupart des touristes en famille, n’ont plus rien à voir avec les passants. Tout est calme, les gens chuchotent, seul résonnent les voix des guides sous la nef. Au milieu de Saint-Denis, la basilique construit en son sein, un monde qui lui est propre, à mille lieux de ce qu’est aujourd’hui le reste de la ville.
La légende raconte que Denis, missionnaire envoyé par Rome, devenu évêque de Lutèce, fut torturé par les romains et décapité sur la colline de Montmartre. Loin de se laisser démonter par un tel supplice, voici que l’homme prend sa tête sous son bras et file droit vers le nord, parcourant ainsi une route de plusieurs kilomètre. Arrivé au village de Catolacus, il s’effondre cette fois raide mort. Le lieu de sa chute prendra le nom de Saint-Denis. Mais que voulait donc nous dire cet homme ? Puisqu’il avait la force de marcher cinq kilomètre sans sa tête, il eut tout aussi bien pu filer jusqu’aux rivages de la mer du Nord. Pourquoi ces forces l’abandonnèrent elles précisément à cet endroit, l’histoire évidemment ne le dit pas. On se contenta d’établir un mausolée à son honneur et l’histoire en serait peut-être restée là, si le roi Dagobert, celui précisément qui avait mis sa culotte à l’envers, n’avait décidé de faire de cet endroit le lieu de son inhumation. Est-ce à cela que pensait malicieusement la tête de Denis, quand à l’instant de sa chute, elle s’échappa du creux de son bras et roula au sol ? Faire le pari, par jeu ou par défi, de faire de ce lieu insignifiant quelque chose, changer un peu le cours de l’histoire. Elle doit doucement rire, ou que soit cette tête car sa malice fut largement récompensée, tous les rois de France, trouvant l’idée trop bonne, décidèrent d’emboiter le pas à Dagobert, excepté quelques rares originaux, ils s’y firent tous enterrer.