CHAPITRE 11
Aix-la-Chapelle / Août 2012

Il pleut des cordes alors que nous contournons Düsseldorf, le pare-brise est continuellement couvert d’une lame d’eau que vient chasser à coups rapides l’essuie-glace. Le battement régulier de celui-ci associé au bruit du déluge d’eau a depuis longtemps plongé les passagers de la voiture dans le silence. Chacun, abrité à l’arrière de sa fenêtre, semble pris de rêverie et de contemplation. Seul le chauffeur attentif, souffre, épuisé de concentration, effrayé par le flot des camions et par l’eau que leurs roues projettent en gerbes. Au moment de les dépasser, l’espace entre celui-ci et la glissière de sécurité semble dangereusement se resserrer.

La nuit tombe lorsque nous sortons de cet énorme noeud routier qu’est la région Rhin Ruhr. A mesure que nous nous en éloignons la pluie diminue. Nous arrivons bientôt aux abords de la frontière belge, à cet endroit particulier où celle-ci côtoie dans un mouchoir de poche la frontière allemande et celle des Pays-Bas. Nous sommes a l’avant dernier jour d’un voyage en Europe du nord qui nous fit parcourir plus de 5000 km et nous sommes abruties de tant de route. Pourtant, afin de prolonger de quelques heures ce voyage en terres étrangères, nous nous arrêtons pour la nuit avant la frontière, en empruntant la sortie d’autoroute indiquant Aachen.
Il est  tard, suffisamment pour que la ville qui semble déjà avoir ralenti son rythme ne nous laisse plus beaucoup de choix quand à son offre en terme de restauration. Nous passons la porte d’un établissement qui semble à mi-chemin entre le bar et le restaurant. A notre grande satisfaction, une ardoise accrochée au mur annonce une promotion particulière sur les spritz. Deux personnes de l’équipe partent chercher un hôtel pendant que les deux autres, dont je suis, prennent les commandes. Attablées devant nos verres, nous voyons revenir nos deux amies, elles affichent un air ravi. Elles n’ont pas trouvé d’hôtel, en revanche, elles savent où nous sommes exactement et tentent de nous le faire découvrir au moyen d’une charade douteuse. EX LA CHAT PELLE. En allemand Aachen, il fallait y penser. Quelque chose remue dans les profondeurs de mon cerveau. Petit à petit, cela prend forme et remonte à la surface.

Je suis au coeur du royaume de Charlemagne, à l’endroit de son tombeau.

Le lendemain, encore groggy sous le coup d’une soirée illuminée par cette révélation et par les spritz, je me rends à la cathédrale, sous le charmant soleil qui toujours succède à la pluie. Charlemagne aimait semble-t-il beaucoup nager dans les eaux chaudes, et celles qu’il trouva à Aix-La-Chapelle lui plurent beaucoup. Il fit bâtir un palais, une chapelle et des bains où l’on pouvait voir, selon Eginhard son biographe, jusqu’à cent personnes se baigner en même temps. Aix-la-Chapelle devint bientôt le centre de ce royaume énorme dont il avait poussé les bords loin en Allemagne et Italie.

Il existe beaucoup d’objet, dans le somptueux trésor de la cathédrale, qui « dit de charlemagne » ne le sont en rien. Ainsi le couteau et la corne de chasse, la croix pectorale sont postérieurs au règne du roi, mais par un don d’aspiration post-mortem dont il garde le secret, beaucoup d’objet lui furent attribué. Il y a tout de même un bout de calotte crânienne et quelques morceaux de radius et cubitus certifiés reliques authentiques. Anatomiquement replacés dans leur contexte, le premier est enchâssé sous la couronne d’un buste reliquaire à l’effigie du roi tandis que les second apparaissent dans une petite vitrine insérée entre le coude et le poignet d’un reliquaire en forme de bras.
Le reste du corps repose au fond de la cathédrale magnifique et dorée, dans une châsse d’or doublée d’une caisse en verre. La présence bien réelle de sa dépouille à l’intérieur de la châsse ne semble plus faire de doute malgré les hésitations successives de l’histoire à ce sujet. Il a fallu démêler le vrai du faux, pour parvenir aujourd’hui à ce qui semble être le cheminement réel de ses ossements à travers le temps.
Il y eut un malicieux, nommé Adhémar de Chabannes qui entreprit notamment de brouiller les pistes. Il fait le récit, en l’an mil,  d’une visite d’un certain Otton III à la dépouille du roi. D’après Adhémar l’empereur Otton trouva son homologue dans un caveau situé sous la cathédrale, assis sur un trône d’or, épée à la taille et évangéliaire à la main. Affable et la tête bien droite, l’ensemble du corps ayant été savamment assaisonné d’un mélange d’aromate, de baumes et de musc. Otton peu intimidé par cette vision, afin de ne pas partir les mains vides comme il était arrivé, entrepris de couper les ongles du défunt et lui chipa une dent, aisée à déchausser.

Ce récit provoqua chez la générations d’archéologues à venir une frénésie et un trouble durable, chacun s’ingéniant à chercher sous le dallage du choeur de la chapelle les traces de ce tombeaux dans lequel aurait séjourné, assis sur son trône, le roi pendant près de 400 ans. Les dernières conclusions de l’enquête prouve qu’il n’en était rien. Charlemagne, de manière beaucoup plus sage et moins tapageuse aurait été inhumé le jour même de sa mort en 814 dans un tombeau de marbre, sculpté d’un ravissant bas-relief représentant l’enlèvement de Proserpine par Pluton. L’ensemble aurait pu, bien qu’il y ait à ce jour des réserves, être placé sous les dalles de la chapelle Palatine. 352 ans plus tard, Otton déja passé par là, Frédéric Barberousse, empereur romain germanique à la somptueuse barbe, non pas fleurie mais rousse, fait exhumer le désormais Saint Charlemagne (qui portait dit-on plutôt la moustache) et, prélevant au passage la tête et le bras du bonhomme, le fait placer dans une châsse d’argent. On pourrait s’attendre à en reste là, il n’en est rien car cette châsse ci n’est pas cette châsse là, qui devant les yeux des touristes brille. Charlemagne, n’y reste en fait qu’une petite cinquantaine d’années. En 1215 Frédéric II, autre empereur, déplace à nouveau les ossements dans la châsse actuelle, d’où semble t’il, ces habitudes de translation s’étant un peu perdue, ils ne bougeront plus.

On peut tout de même se demander, pourquoi Charlemagne ne se fit-il pas enterrer à Saint-Denis comme Pépin son père et Berthe sa mère? Soit qu’il se plaisait à être original, soit qu’il se sentait si gaillard qu’il n’avait pas anticipé sa propre mort. Celle-ci survint en effet de façon assez soudaine, suite à une pleurésie contractée en sortant de l’un de ses bains chaud en plein mois de janvier. On l’enterre à toute vitesse le jour même. Y avait il dans sa mort quelque chose à cacher, était-il devenu laid, ravagé par la maladie ? Ou bien chercha-t-on ainsi à le soustraire aux moines de Saint-Denis et le garder pour soi, pour l’amour de sa famille, la gloire et l’aura de la ville pour les siècles à venir.
Ce qui fait que le fameux roi est enterré juste de l’autre côté de la frontière belge, en terre allemande. Cela est somme toute relativement diplomatique et visionnaire de sa part d’être ainsi resté bien loin des futures capitales, en Allemagne certes mais à portée des Pays-Bas, de la Belgique et dans une certaine mesure de la France, qui tout de même, j’imagine, doit se sentir un peu lésée.

 

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