CHAPITRE 1
La vallée de la Drobie / avril 2012

Je suis à quelques kilomètres de Joyeuse, en Ardèche, perchée dans un vallon au-dessus d’une rivière nommée la Drobie. La route pour venir jusqu’ici depuis la Bastide Puylaurent nous fit monter sur un plateau puis serpenter pour passer d’un versant à l’autre. Le paysage, en cette sortie de l’hiver est encore marqué par les terrasses, bien visibles entre les feuillages clairsemés des châtaigniers. Les feuilles d’un vert vif, encore petites et resserrées sur les jeunes rameaux de l’année laissent la place suffisante entre elles pour percevoir ces lignes de pierres, construites à une époque où toute l’Ardèche était en culture au moyen de ces terrasses aménagées dans la pente et plantées de châtaigniers. Depuis la déprise agricole ces cultures rudes, impossibles à mécaniser, on été abandonnées. Les terrasses se sont enfrichées, les murs encore visibles peu à peu gonflent et se déforment, ils font le ventre, se déchaussent et finissent par s’affaisser.
A cette saison pourtant la vallée me semble plus douce et plus accueillante qu’elle ne le fut l’été dernier, quand je passai, pour la première fois (enfin je crois, car il est très probable que le chemin des vacances d’été m’ait fait passer par là dans mon enfance) dans les environs de Joyeuse. A cette époque la chaleur du mois d’Août avait déjà écrasé toute forme de fraicheur dans la vallée, les ruisseaux étaient secs et les feuillages denses des arbres nous masquaient sous un couvert uniformément vert la vue des versants rocheux parcourus d’un brun terreux.

Qu’est ce qui peut justifier à un moment qu’une petite ville prenne un tel nom ? C’était la question que je me posais en me promenant dans les rues animées de Joyeuse lors de cette première visite. Dans une ambiance assez en accord avec son nom, la ville était par ce jour de marché, semble t-il, assez heureuse de vivre sous le soleil d’août. Mais peut-être était-ce parce que nous l’étions aussi à ce moment précis : six amis en vacances de passage en Ardèche. Puis les villes ont toutes sous le soleil et par un jour de marché un air un peu festif. Il fallait donc que ce fut autre chose.

A mon retour de vacances, et après quelques rapides recherches, je pu découvrir la légende qui s’y attachait. Celle-ci raconte que le roi Charlemagne, en l’an 800, s’en revenant d’une campagne victorieuse contre les sarrasins dans la plaine de Jalès, perdit son épée lors d’une chasse au sanglier. Il fit savoir à ses soldats que quiconque la trouverait serait largement récompensé en retour car son attachement à sa Joyeuse épée (ainsi qu’il la nommait) était si grand qu’il n’aurait pas souffert de la savoir perdue. L’un de ses nombreux soldats, plus chanceux, ou plus malin peut-être que les autres, la retrouva accrochée aux branches d’un châtaignier, et, sans doute confus de plaisir et d’anxiété, s’en allât trouver le souverain pour la lui remettre en main propre. En récompense, celui-ci lui attribua une partie des terres, nommées à compter de ce jour Joyeuse, sur lesquelles l’épée avait été retrouvée. Il fit anoblir le soldat et le maria à l’une des filles de ses favorites. Ainsi la légende explique-t-elle le nom de cette ville, rien ne prouve que ceci soit véridique, il y a bien peu de chance en fait que ce le soit mais ce fut le point de départ de cette histoire qui me fit traverser plusieurs lieux, plusieurs territoires et toute une série de vieux monarques.

 

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